La Barberie - Auberge paysanne

J’arrive à l'auberge paysanne à coté de Saint Lô vers 20h, après avoir marché en poussant mon vélo sur les dernières centaines de mètres en pente raide. Je suis accueilli par Chris, un homme d'une cinquantaine d'année avec un fort accent britannique. A l'intérieur, le poêle crépite et ça sent le poulet que Chris se prépare.
Le premier jour, Philippe me fait visiter le lieu, me partage son histoire. Il me montre un marais :
"Est-ce que tu sais pourquoi il y a un marais ici ?
– Non.
– Réfléchis.
– Pour attirer les chauves-souris.
– C’était une carrière de pierre. On a extrait les pierres pour construire les maisons qui sont ici, et puis on a rebouché avec de l’eau."
Une autre des premières discussions que j’ai eu avec Philippe portait sur les omégas 3 et les oméga 6. Parce que la société est chroniquement carencée en oméga 3, mais elle est en surplus d’oméga 6. On trouve des oméga 6 dans l’huile de tournesol. Le colza à un bon rapport oméga 3 oméga 6, l’huile de lin encore plus. Idéalement il faudrait éviter de les exposer à la lumière et de les trop chauffer pour préserver les oméga 3. (Apparemment l’huile d’olive reste stable.)
Il me fait visiter l’auberge, me montre le four à pain, au feu de bois. Il y a des bouts d’éclats d’obus dans la charpente. On peut voir sur le bâtiment d’en face qu’une partie du mur est plus récente.
Avant, l’auberge était ouverte les vendredi soir et le premier samedi du mois, et elle était toujours complète. Mais le travail était chronophage et Françoise et lui avait envie de faire autre chose. Aujourd’hui, ils reçoivent des groupes sur réservation.
Je me suis demandé pourquoi la ferme s'appelle la Barberie mais Philippe n'a pas su me dire...
Les gens :
C’est Françoise qui tient l’auberge, elle fait partie de la SCOP Crescendo. Après 2 ans, elle devient cette année sociétaire. C’est la première fois que j’entends parler du fonctionnement de ce genre d’entrepris de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire)
Mamie Germaine vit juste à côté, où elle s’occupe de gites. Par bouche à oreilles, pas tout le temps car c’est du travail. Elle a 93 ans, en pleine forme malgré un accident peu avant mon arrivé et une jambe cassée. Elle fait son potager, son compost (dont une partie à été subtilisé pendant son absence je dois dire).
A côté, il y a aussi le frère de Philippe, Serge. Ce n’est pas quelqu’un de très bavard. Lui il fait du pain. Il a fait de gros investissements pour atteindre une autonomie énergétique. C’est un des pionniers du bio.
Les 32 hectares de la ferme ont été divisé entre les deux frères. Ils se sont alors posé la question de la forme d’organisation, la forme juridique qu’ils voulaient. GAEC ? Collectif ? Finalement chacun à ces activités, mais leur travail est complémentaire.
A la barberie, il y a aussi Thibaud et Elsa. Thibaud est venu faire du wwoofing il y a quelques années, puis il a fait une formation en maraichage bio à Coutance, avant de revenir s’installer à la Barberie. Il loue un champ à Philippe sur lequel il a construit une tiny. C’est un grand bricoleur, je suis parti peu avant l’inauguration de son éolienne.
Plus tard, je discute avec en discutant avec Elsa, j’apprends qu’elle aussi est passé par El Cap’. Elle a assisté à quelques évènements à La Barberie, avant de venir s’installer ici en maraichage, aux coté de Thibaud. De l’extérieur, elle percevait une vie en collectif mais en réalité le quotidien est assez fragmenté, chacun à globalement son espace et ces missions.
Ça pose la question de jusqu’où on souhaite aller dans la mise en commun, dans l’interdépendance et dans la vie en collectif.
A ce sujet, Elsa m’a prêté une BD : « La communauté » de Yann Benoit. On y lit l’aventure d’un groupe d’ami, des citadins d’origine bourgeoise qui dans la suite de mai 68, veulent vivre autrement, en collectif, en commençant par rénover une ancienne minoterie. Le lieu, les véhicules, l’argent… tout est pensé sur la base du commun. L’aventure dure une quinzaine d’année et investissement humain considérables. Cette période n’a pas toujours été facile pour les adultes bien que la plupart parlent d’une belle aventure. Pour les enfants qui sont né durant cette période, cela a été une expérience très unificatrice, et des premières années dans la vie qui leur a donné beaucoup de liberté.
En woofing ici il y a aussi Sarah et Chris. Sarh ne vit pas dans la même maison que Chris et moi, mais elle vient y cuisiner.
Sarah est originaire du Gabon. Elle me raconte qu’elle est venue en France faire des études d’ingénieur dans l’électronique, parce qu’elle est d’une génération que l’on a poussé à faire des études, mais au final, quand on en sort et qu’on se demande ce qu’on a appris… on n’est pas sûr. Elle est rentrée au Gabon employée chez Totale. Elle a vu la dévastation sur son pays. Les puits contaminés. Les industriels au courant mais indifférent. Elle a quitté son travail pour faire des formations en France et acquérir de l’expérience dans le domaine agricole. Elle veut récupérer des terres de sa famille qui n’ont jusqu’à présent servi que pour de grandes cultures de cacao ou de cannes à sucres, pour faire pousser ces légumes. Elle à hâte de rentrer, mais elle prévoit de rester à La Barberie jusqu’à la fin du printemps, le temps de sa formation.
Chris est anglais, c’est un grand voyageur. Il est arrivé en France il y a 6 ans avec l’ambition de faire un tour d’Europe à vélo mais finalement il s’est bien plu à la Barberie. Il va il vient mais il revient. Peu après mon départ, il est reparti pour la Thaïlande pour une durée non déterminée.
Il y a aussi Franz, il ne vit pas ici mais il travaille dans l’atelier juste à côté. Après de trop nombreuses années passé dans les théâtres Parisiens comme technicien décorateur, il se reconvertie dans l’ébénisterie et la marqueterie de paille.
Noémie s’est installée il y a quelques mois dans la petite maison, la première qu’à construit Philippe. Elle cherche un travail en lien avec la musique, où elle pourrait laisser sa passion pour le chant s’épanouir.
Quand Philippe fait visiter la ferme à des groupes, il parle de cette maison, qu’il a construit lui-même à peu de frais (environ 3000 euros). Après avoir beaucoup voyagé, il revient s’installer sur la ferme familiale mais à sa manière, avec ce premier projet.
C'est beaucoup lui qui coordonne tout ce qui se passe sur la ferme.

Les activités :
Je ne sais pas encore bâtir de maison mais j’apprends d’autre chose.
Des plantes.
Sarah me montre la mache, le pourpier et les chrysanthèmes. Je découvre la capucine, une plante grimpante au gout de moutarde que l’on met dans les pestos.
Du vocabulaire.
On ne dit pas la brebis est enceinte on dit qu’elle est pleine. (mmmh c’est tout de suite un peu moins attendrissant)
Enfaite ce que je pensais être une hache est un merlin. La hache est plus petite, le merlin est plus lourd, plus adapté pour fendre des grosses buches.
On ne range pas du boit on le tasse.
Maintenant je sais évidement tasser du bois, de manière à ce que « ça ne penche pas du côté où ça tombe. »
Photo à l’appui.

(On dirait que je tiens les murs mais c’est stable promis)
Je donne pas mal de coup de mains au jardin, nous avons par exemple construit une haie sèche. Nous avons planté des poteaux (des troncs d’arbres à peu près droit). Puis nous avons ébranché un sapin (auparavant tronçonné) pour en garnir les deux rangées de poteaux aligné. L’idée est que ça fasse un rempart au vent naturel, et aussi une barrière naturelle pour le poulailler.
Le matin je vais ouvrir le poulailler et nourrir les moutons, je vais les chercher avec le son de blé en sifflant et on joue au 1,2,3 soleil. C'est à dire que si je m'arrête, il s'arrêtent. Ils restent à bonne distance de moi tant que je ne suis pas en train de verser le son dans la mangeoire.
3 des moutons sont tué au bout de quelques semaines. A la ferme, par un professionnel. Je me questionne sur les pratiques d'élevage dans l'optique de l'autoconsommation. Je me dis que je n'aurais pas envie de tuer un agneaux alors pour l'instant, c'est une raison qui me suffit pour continuer mon végétarianisme. (Aussi plein de paradoxe soit-il)
Le cidre et le jus de pomme sont aussi réalisés sur le site, au moyens d'une presse qu'ils louent une fois par an.



Une journée de décembre.
Chris vient de partir et Fuka est arrivé pour environ 2 semaines. Elle fait une année de césure dans ses études au Japon pour faire un tour d’Europe pour en apprendre plus sur les sujets d’alimentation.
Samedi 7 décembre.
Fuka et moi allons au marché de saint lo. Nous y allons à pied et je passe par un chemin nouveau entouré de haies. J’observe les talus plus haut que nous. On est dans un chemin creux. Est-ce que vous saviez que la boue mêlée de feuilles était autrefois vendue par la commune aux paysans qui voulaient amender leur sol ? Ce qui a participé à la formation des chemins creux.
Sur le marché ce sont surtout des primeurs. Un seul local et Bio. Une femme m’alpague pour que je goute sa clémentine. Je lui dis que j’essaye d’acheter local. Elle me dit qu’on ne peut plus rien manger comme ça, que là il y a de tout sur l’étalage au moins. Si on enlève tout il n’y aura pas assez à manger. Un homme à côté de moi prend part à la discussion. « Les clémentines de France, elles viennent de Corse, mais la saison des corses c’est trois semaines. Après, la Corse achète des clémentines à l’Italie et les fait passer pour des Corses. » Fuka m’a rejoint entre temps et mes interlocuteur.ices ce détournent.
C’est vrai que les clémentines ce n’est pas très local… même venant de Corse . Nous allons au stand bio, je prends leur reste de champignon et deux clémentines (d’Italie, pas d’erreur sur la marchandise selon toute logique). J’en mange une et donne la deuxième à Fuka, qui la met de côté. La clémentine c’est vraiment un soleil de l’hiver…
Nous rentrons juste avant que le vent devienne plus fort, et les averses plus violentes.
C’est le soir que la clémentine de Fuka refait son apparition… dans le feu. Enfin sur le côté. Répondant à ma surprise, Fuka m’explique qu’on les mange comme ça au Japon, c’est plus sucré. Elle la retire une fois que la clémentine est un peu molle. On porte à notre nez ce petit soleil qui sent désormais comme un mois d’aout de canicule. Elle l’épluche comme une fleur à pétale, en laissant la peau en dessous, et nous partageons le fruit.
Alors ?
C’est étonnant.
Etonnant ?
Surprising. J’aime bien la chaleur de la pulpe mais je on sent moins l’acidité du fruit ce que je trouve dommage.
L’expérience recommence avec deux kiwis du jardin. On les cueille quand ils sont encore dur, puis ils finissent de murir dans la cagette. Ils commencent à être bon, mais ne sont toujours pas très sucré.
On les oublie un peu puis on les sort, ravies de nos essaies culinaire. Le kiwi c’est validé à 100%.
C’est mon tour de mettre une poire à côté des braises.

-> en bord de photo, des dessins à la peau de mandarine chauffée 😊