La cascade des ressources ou l’art de prendre soin des ressources.
Quand François m’a annoncé qu’il voulait organiser une table ronde sur la “cascade des ressources”, je l’ai regardé avec des grands yeux. La quoi ? La cascade des ressources me répond-il avec assurance. Je m'interroge : est-ce une attraction aquatique low-tech ? Un concept mystique ? Ou bien…
En réalité, ce concept vient tout droit de sa thèse de doctorat, qu’il a soutenue il y a plus de 20 ans. Mais alors, concrètement, la cascade des ressources qu’est-ce que c’est ? L’idée est simple : prendre soin des ressources à chaque étape de leur existence. Cela passe par une myriade d’actions concrètes, souvent simples, parfois plus complexes, mais toujours guidées par le bon sens. Il s’agit à mon sens de changer de regard sur ce qui nous entoure, de voir chaque ressource non pas pour ce que la société nous fait croire qu’elle est – obsolète, cassée, sale, etc. –, mais pour tout ce qu’elle peut encore apporter. Ici, pas de mauvaises herbes, pas de déchets au sens strict, juste des ressources en attente d’une seconde vie. Attention, il ne s’agit pas de surexploiter tout ce qui nous entoure, bien au contraire. Prendre soin des ressources, c’est aussi et surtout respecter les équilibres de son écosystème. Autrement dit, la cascade des ressources revient à chérir chaque chose pour ce qu’elle peut encore offrir, à nous et à la nature. Et pourtant, cette évidence est trop souvent négligée.
Si cette description reste théorique, rien de tel que quelques exemples concrets pour illustrer cette philosophie en action. Et pour cela, direction Can Decreix, le lieu de vie de François depuis 14 ans, mais aussi, et surtout, un véritable laboratoire de la décroissance niché à Cerbère, à la frontière franco-espagnole.
Bienvenue à Can Decreix : Là où tout se transforme… même les cactus.
Can Decreix est à la croisée des Pyrénées et de la mer méditerranée. Il y fait beau, chaud… voire parfois un peu trop. Ici, le climat est aride, le sol minéral, et la fameuse tramontane souffle avec fougue, atteignant régulièrement les 120km/h.
Dans ce décor, cultiver quoi que ce soit relève de l’exploit. Pourtant, oliviers, vignes et cactus tirent leur épingle du jeu. Si les deux premiers sont bien connus, le dernier, lui, réserve quelques surprises.
Et oui, à Can Decreix, on a compris qu’il ne servait à rien de s’obstiner à faire pousser des tomates, des courgettes ou d’autres légumes inadaptés au climat. Plutôt que de lutter contre la nature, mieux vaut observer et s’adapter. Ici, ce sont surtout les cactus qui prospèrent… alors autant en tirer parti !
Une fois bien équipé – pince et gants obligés – à Can Decreix, on transforme les figues de barbarie en confiture, en jus, avec les raquettes de cactus on fait aussi de la farine et même du du produit nettoyant. Ici voilà un exemple concret de la cascade des ressources, on a pris le temps de reconsidérer les ressources autour de nous.
Un cycle bien rôdé : tout utiliser jusqu’à la dernière goutte.
Si les cactus sont emblématiques du lieu, la démarche de faire attention aux ressources autour de soi est loin de s’arrêter là. J’aimerais donc, vous présenter une “cascade” particulièrement bien rôdé à Can Decreix. Comme je l’ai expliqué précédemment, les oliviers sont partout ici. Et oui, vous qui galérez avec votre petit olivier en pot en manque de soleil, ici ils poussent à foison. Cependant ils nécessitent quand même un entretien minutieux. Ce d’autant plus, que le sud est régulièrement soumis aux incendies.
Il y a deux ans, un feu s’est propagé sur une partie du terrain. Après cette situation critique pour les jeunes oliviers, François a décidé de les laisser repousser naturellement avant d’intervenir. Cette année, c’était le moment de leur offrir leur première taille post-incendie. Alors avec Bruno un autre woofeur, on a passé plusieurs matinées à tailler les oliviers, après les explications bien rodées de François. L’enjeu c’était de les aider à devenir plus résistants, en coupant certaines parties pour innerver les autres.
Tuto : prendre soin de l’olivier
- Éliminer les parties mortes brûlées par l’incendie.
- Sélectionner les drageons (pousses issues des racines) : en garder 3-4 bien positionnés pour éviter qu’ils ne se gênent.
- Tailler les gourmands (petites branches inutiles) qui consomment de l’énergie sans produire d’olives.
- Valoriser les “déchets” de coupe.
La dernière étape et non la moindre est finalement la raison d’être de la cascade des ressources. Prendre soin des oliviers n’est qu’une étape parmi un processus de prise en compte et de soin des ressources. Ceux que l’on appelle habituellement “déchets” sont en fait dans cette perspective des ressources qu’il faut prendre en compte en tant que telles. Ainsi, les branches mortes – et donc déjà sèches – servent de combustible pour le four à bois tandis que les branches vivantes et toutes feuillues sont données aux chèvres qui mangent les feuilles. Il faut attendre ensuite plusieurs mois le temps qu’elles sèchent à leur tout et puissent également servir de combustible pour le feu. Mais le cycle ne s'arrête pas là ! À Can Decreix, même les cendres sont réutilisées pour faire de la lessive sous forme d’eau de cendre. Entièrement naturelle, cette eau peut ensuite être utilisée pour le jardin par exemple. En effet, grâce à un système ingénieux de tuyaux, l’entièreté de l’eau utilisée pour la vaisselle, le linge ou encore la douche est utilisée pour le jardin. Et ce n’est pas de trop, car comme on l’a dit auparavant, le climat est très aride à Cerbère et peu de choses poussent sans eau.
Petite anecdote : Dans beaucoup de lieux, les toilettes sèches séparent urine et matières solides pour éviter l’excès d’humidité. Ici, ce n’est pas nécessaire… car tout sèche naturellement, merci la tramontane !
La question de la récupération de l’eau prend tout son sens dans cette région soumise aux sécheresses. Et il ne s’agit pas seulement de la récupérer, mais bien d’en faire un usage raisonné, voire minimaliste pour la préserver.
Ainsi, à Can Decreix, on réfléchit à l’utilisation des ressources en pensant au fonctionnement de l’ensemble de l’écosystème, on tire partie des ressources insoupçonnées des plantes, de l’eau et même du feu. Il s’agit ni plus ni moins, par la cascade des ressources, de restaurer au maximum le cycle naturel en se débarrassant des concepts d’ “utilité” et de “déchets”. Tout le plaisir, tout le sens donné à cette démarche est d’ailleurs dans cette recherche de l’harmonie, de la réutilisation et du partage de connaissances au quotidien.


