La disruption du quotidien pour initier le changement

Ingénieur de formation et artiste activiste, Lilian Chardon s’est lancé il y a six mois dans la création de Lîlégal, une marque de jupes mixtes connectées.
« C'est plus un projet politique qu’un projet de mode ». Derrière ce vêtement du quotidien, se trouve à la fois un projet politique et une réflexion sur les résistances au changement.

Peux-tu nous parler de ton projet de jupes mixtes connectées ?
Lilian – Je me suis lancé il y a 6 mois dans l'idée de créer une marque qui s'appelle Lîlegal. C’est une marque de jupes connectées mixtes, que j'essaie de fabriquer 100% en Occitanie, soit avec du tissu fabriqué en Occitanie, soit avec du tissu issu de recyclage ou de stock dormant. L'idée, c’est aussi d'explorer une forme de fabrication distribuée avec ces jupes : plutôt que d'avoir un seul centre de fabrication et de production des jupes, il y a tout un réseau de lieux, de couturiers et de couturières. J’essaie d'aller vers de la production à la demande et des modèles uniques.
Certaines des jupes sont faites avec du tissu de récupération, une avec un vêtement de moine tibétain, une en doudoune, ou encore dans des vêtements de travail. J'ai aussi des versions costumes en surcyclage : à partir d'une veste, je fabrique une jupe. On rentre à la fois dans des codes super classiques de costume, et dans un truc très décalé avec les jupes. Par exemple, je suis en train de faire une série de jupes La riposte. Sur le même principe, je récupère une veste de La Poste et avec une autre veste je fais une jupe. Sur les jupes, il y a un logo dans lequel je mets une puce NFC. L'idée, c'est qu’en approchant son téléphone, ça ouvre une page où on a l'origine du fil et du tissu, une photo de la personne qui l'a fabriquée, un message, etc.
Qu’est-ce qui te motive dans ce projet ?
Pour moi, c'est plus un projet politique qu’un projet de mode. C'est-à-dire que c'est une manière de réfléchir aux résistances au changement de notre civilisation. Je réalise qu’il y a plein d’hommes qui se disent que porter une jupe, c'est super chouette, ça doit être très confortable, mais n’osent pas. Finalement, qu'est-ce qui fait que qu'on va bloquer sur la possibilité d'avoir plus de confort, d'avoir un truc super agréable et décalé ? Qu'est-ce qui fait qu'on refuse d'être heureux ? D'après moi, c'est une réflexion qu'on pourrait mener sur plein d'autres sujets. D'autant plus que se mettre à porter une jupe, ça ne change rien à la vie. C’est un changement mineur par rapport aux changement nécessaires pour faire face aux défis autour de l’énergie, des déplacements, du voyage, de la consommation. Donc qu'est ce qui fait qu'il va y avoir des blocages et des difficultés à initier un changement ? Si on arrive à analyser ces mécanismes sur la jupe, on peut les penser sur d’autres sujets comme les véhicules intermédiaires ou l’utilisation du vélo : qu'est ce qui fait qu'on a des difficultés à adopter d'autres modes de déplacement, par exemple ? C'est clairement des aspects liés à un positionnement social, à une image. Il faut être capable de comprendre ces mécanismes pour pouvoir les décortiquer et faire évoluer notre monde.
Est-ce que la désirabilité passe par un changement dans le quotidien ?
À titre personnel, ça fait 25 ans que je mets des jupes et ça ne me pose aucun problème. J’y vois une dimension vraiment politique, ça correspond à mes engagements. J’ai même tendance à dire qu'aujourd'hui, mon seul engagement politique dans ce monde c'est de mettre des jupes.
Dans ce projet, il n’y a vraiment rien de révolutionnaire techniquement, c’est uniquement social. C'est ce qu’Aurélien Barrau[1] exprime quand il parle de la révolution du banal. Je parle aussi de disruption du quotidien. Les éléments révolutionnaires doivent être dans l'espace public et doivent être visibles, contrairement à la révolution invisible.
[1] Barrau Aurélien, L’Hypothèse K. La science face à la catastrophe écologique, Grasset, Paris, 2024.
© Zoé Boursault