Les Habitées : un refuge pour les minorités en milieu rural
J’ai passée ces dernières semaines dans les Cévennes, à La Grand-Combe chez Les Habitées. Il s’agit d’un collectif queer* et majoritairement racisé, ancré dans l’association Intersection* Queer. Son existence repose sur une question essentielle : comment se donner accès à une vie rurale quand on est une personne queer et/ou racisée en France ?
* Queer est un mot emprunté de l’anglais ; signifiant à l’origine « étrange », « peu commun » ou « bizarre », il est utilisé de manière péjorative, neutre ou améliorative pour désigner tout ou partie des minorités sexuelles et de genres, c’est-à-dire les personnes ayant une orientation sexuelle différente de l’hétérosexualité ou une identité de genre différente de celle assignée à la naissance.
* L’intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) ou intersectionnalisme est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société. Ainsi, dans l’exemple d’une personne appartenant à une minorité ethnique et issue d’un milieu pauvre, celle-ci pourra être à la fois victime de racisme et de mépris de classe.

Les Habitées : un lieu commun pour vivre et expérimenter
Les Habitées, c’est avant tout un espace où se retrouver, apprendre, jouer et penser ensemble. Un lieu qui tisse et entretient des milieux où bien vivre en ruralité, en cultivant les interdépendances humaines et plus-qu’humaines.
Le collectif est né du constat que la ruralité est souvent difficile d’accès pour les personnes queer et/ou racisées. Face à cela, plutôt que de se résigner à l’exil vers les villes, Les Habitées ont choisi de créer leur propre espace. Ici, l’objectif est d’offrir un cadre où l’on peut être soi-même, sans avoir à se justifier ni à se conformer à des normes qui ne nous correspondent pas.
Rompre l’isolement pour exister pleinement
Vivre en milieu rural quand on fait partie d’un groupe minorisé, c’est souvent être isolé. Être la seule personne queer du village, la seule personne racisée, c’est exister en extrême minorité, ce qui empêche un véritable accès à cet espace. L’accès, ce n’est pas juste pouvoir y habiter, c’est pouvoir y vivre convenablement, dans un environnement qui ne soit pas hostile ou aliénant.
C’est en partant de ce constat que Les Habitées ont décidé de bâtir un espace où il est possible de se retrouver, de se renforcer et de s’épanouir hors des grandes métropoles.
Un espace de lutte, de soin et de transmission
Le collectif a investi un espace multifonctionnel au cœur de La Grand-Combe. Ce lieu accueille des résidences artistiques, des ateliers de danse, d’écriture ainsi que des rencontres inter-luttes et des cercles de lecture.
Mais au-delà des activités, c’est avant tout un lieu de refuge et de soutien. Ici, on parle librement, sans tabou. On crée un espace où le soin mutuel est central : on s’écoute, on partage nos vécus et nos ressources pour mieux traverser les violences systémiques du monde extérieur.
L’une des dimensions fondamentales du collectif est son approche écologique et queer : l’écologie est pensée non pas comme une simple préoccupation environnementale, mais comme un outil politique et communautaire, profondément lié aux enjeux de domination et d’oppression.
Les communs : La Parreau, un premier lieu d’accueil
Située à La Grand-Combe, à 15 minutes d’Alès, La Parreau est le premier lieu commun de la SCIC Les Habitées.
Cette maison sur deux étages, entourée de forêts, de rivières et de lacs cévenols, comprend une salle de pratique, une cuisine et sept chambres. C’est là que sont organisés des ateliers, des résidences artistiques et des formations.
Ce lieu incarne une nouvelle manière d’habiter la ruralité : en construisant des espaces accessibles, partagés et accueillants, Les Habitées créent une alternative concrète à l’isolement et à l’exclusion.
Fabriquer des formes de vie alternatives
Les Habitées, c’est aussi un projet politique. Il ne s’agit pas seulement de survivre, mais de créer des formes de vie qui rendent possible autre chose. Sortir du schéma imposé par une société capitaliste et hétéropatriarcale, imaginer et expérimenter de nouveaux modèles de communautés.
L’idée est de rompre avec un cycle : celui où les personnes queer et racisées doivent partir vers les grandes villes pour trouver un semblant de sécurité et de reconnaissance. En créant un espace qui leur est destiné en milieu rural, Les Habitées offrent une alternative concrète, une autre façon de penser l’accès à ces territoires.
Vers des mondes multiples
La vision binaire et normative de notre société enferme les individus dans des catégories figées. Ici, on cherche au contraire à faciliter la transition d’un monde unique vers des mondes multiples, où chaque personne peut exister dans sa complexité et sa singularité.
Comme l’écrit le collectif :
« On pourrait dire qu’il y a un projet politique dans le fait de fabriquer des formes de vie qui rendent possible autre chose, qui fabriquent un accès, qui rompent avec ce cycle. »
En bâtissant cette communauté, Les Habitées démontrent qu’un autre modèle est non seulement possible, mais nécessaire. C’est un espace où l’on se retrouve, où l’on apprend ensemble, où l’on construit des solidarités durables pour que personne n’ait plus à choisir entre son identité et son lieu de vie.
Un projet d’écovillage pour un futur collectif et durable
Depuis un an et demi, le collectif vit dans une grande maison au cœur du village de La Grand-Combe. Situé à seulement sept minutes de la gare, cet emplacement facilite les visites et les interventions extérieures.
Mais l’ambition du collectif va plus loin : Les Habitées rêvent d’un écovillage, pensé comme un espace de pratique, de soin et de partage. Un endroit où il serait possible de vivre ensemble autrement, en construisant des habitats légers – cabanes, tiny houses – et en développant un mode de vie durable.
Aujourd’hui, le collectif recherche activement un espace plus vaste, avec plusieurs hectares de terrain. L’objectif : trouver un terrain avec une maison communautaire où il est possible de planter des arbres, cultiver un potager, créer des forêts comestibles, acheter un lieu où s’implanter et créer un espace qui leurs ressemble (leur jardin actuel ne permettant pas ces aménagements). Un espace de vie communautaire et ouvert, de soin, d’inter-lutte, de partage de savoirs, de résistance et de célébrations de nos identités plurielles loin du système hétéropatriarcapitaliste qui oppresse les individus autant qu’il oppresse la biodiversité.
Mais Les Habitées ont d’autres projet. Leur vision englobe d’autres lieux communs, mis à disposition des personnes souhaitant s’investir activement sur le territoire : une épicerie solidaire, une ferme, un terrain agricole, une cantine… Autant d’espaces où se retrouver, créer et inventer ensemble de nouvelles manières de lutter et de faire sens en communauté.
Lors de ma visite, j’ai été impressionnée par leur force, leur intelligence et le soin apporté les unes aux autres. Je leur souhaite de tout mon cœur de trouver le lieu parfait pour leur projet d’écovillage.