Mettre la main à la pâte pour construire des alternatives

Mettre la main à la pâte pour construire des alternatives

Il est à peine 10 heures quand j’arrive à la ferme de Quimerc’h, dans le village breton de Bannalec. Pour arriver jusqu’au fournil, je passe par un chemin entouré d’arbres fruitiers, d’une pépinière et d’une prairie où paissent les ânes. Sur la devanture du fournil, on peut lire « Facteur Mouton, Boulangerie poétique ». C’est Florian qui m’accueille, il a co-fondé la boulangerie avec Hélène, qui est aussi sa compagne. Anciennement profs de français, iels ont ensemble décidé de changer de vie en apprenant les bases de la boulangerie par différents wwoofings et stages à travers la France. Hélène et Florian ont finalement débarqué à Bannalec en 2019 pour reprendre le fournil d’une ferme collective. En ce moment, le couple est entouré de Sacha et Victor, des salarié.es qui assurent une bonne partie des fournées.

Cette boulangerie n’a pas grand-chose à voir avec celles que je côtoie en allant acheter ma baguette le matin. Ici, pas question de produire à la chaîne du pain blanc et d’être ouvert au public en permanence. Le projet de Facteur Mouton, c’est de sortir d’un modèle industriel, ultra dominant dans le milieu de la boulangerie. Ça se ressent d’abord au niveau des techniques utilisées. A la levure on préfère le levain, qui permet une fermentation naturelle et spontanée, au contraire de la levure de boulanger, constituée de champignons cultivés industriellement sur une base de sucre. En plus, le pain au levain contient plus de nutriments, se conserve mieux et est plus digeste car moins riche en gluten ! Hélène et Florian ont aussi fait le choix de pétrir l’ensemble des fournées à la main, sans robotisation. Ça limite certes les quantités qui peuvent être produites, mais ce rythme de production leur va et iels arrivent à se dégager un salaire qui leur convient. Aussi, ce travail artisanal et manuel demande de prendre le temps. Et c’est cette lenteur et cette douceur que j’ai particulièrement appréciées, on essaye d’y travailler loin des pressions à la productivité et à la rapidité. Pour eux, ça consiste à se réapproprier des techniques artisanales pour contester l’industrie capitaliste qui régit la filière boulangère. Derrière ces processus, il y a l’idée qu’on ne veut pas seulement faire du pain et le vendre, mais qu’on veut faire du bon pain à partir de produits qualitatifs, pour nourrir les autres respectueusement.

 

Durant les deux semaines où j’ai séjourné à la ferme, j’ai pu passer de nombreuses heures au fournil. Je me levais souvent aux aurores, j’aimais bien aller filer un coup de main dès le lancement de la journée, à 4h. Deux fois par semaine, on allait au marché, ce qui rimait pour moi avec grasse matinée (jusqu’à 7h30 !). C’est surtout Hélène et Florian qui vont faire les marchés, iels adorent ça. Et moi aussi ! Leur volonté, c’est de vendre leur pain le plus localement possible. Une bonne partie du pain est directement mangée à Bannalec, qu’il ait été vendu au marché du bourg, à l’AMAP hebdomadaire, à l’épicerie qui propose un dépôt de pain, ou directement au fournil (ouvert 2 heures par semaine au public). J’ai pu accompagner Hélène à l’AMAP un jeudi soir. Elle m’avoue ne pas y aller toutes les semaines, puisque les bénévoles de l’AMAP proposent de passer récupérer les commandes de pain directement au fournil et de les donner aux adhérent.es. Mais au moins une fois par mois, ça lui tient à cœur de se rendre à l’AMAP pour entretenir ses liens avec les collègues paysan.nes et les client.es, qui sont souvent aussi des ami.es. Ce soir-là, on distribue 6 pains, c’est sûr que financièrement elle n’a pas grand-chose à y gagner ! Et puis, dans la même logique de vendre le pain localement, on essaye de se fournir en produits les plus locaux possibles au fournil. Aux graines de sésame, produites majoritairement en Inde ou en Afrique du Sud, on préfère les graines de pavot cultivées en terre bretonne. Idem pour les farines qui sont majoritairement fournies par un meunier finistérien.

 

Une autre chose qui m’a vraiment marquée chez Hélène, Victor, Sacha et Florian, c’est leur volonté de transmettre et partager leur savoir-faire. Durant mon séjour, j’ai pu croiser plein de monde qui venait se former : une psychologue en reconversion professionnelle, un stagiaire de 3ème, un groupe de jeunes venant d’un IME… C’est un peu au centre de leur projet, l’idée de transmission. Et ça donne pas mal d’espoir de se dire que c’est aussi cette manière de faire de la boulangerie qui se dissémine à droite à gauche. Dès le début, alors que j’avais presque aucune expérience dans le pain, on m’a fait confiance pour fraser, bouler et enfourner. J’y ai appris les gestes, j’ai regardé, imité, un peu raté, et puis finalement je m’en suis pas si mal sortie. Mais j’y ai aussi appris à sentir le pain, au toucher, à l’odorat et au goût. On m’a dit que « faire du bon pain, ça se ressent » et c’est vrai que j’ai plus mis mes mains que mon cerveau en action, et ça fait du bien ! Elle porte bien son nom, cette boulangerie poétique !

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