Penser la ressourcerie, enjeux et réflexivité sur un modèle
Cet article est issu de mes observations en ressourcerie, notamment lors d’une immersion aux Fourmis Vertes, ressourcerie ornaise. Deux enjeux majeurs ont retenu mon attention : la question du juste prix, qui est loin d'être facile à établir, et les dérives potentielles d’un système qui, en voulant bien faire, peut parfois reproduire certaines logiques marchandes ou sociales problématiques. Ces réflexions personnelles cherchent à nourrir le débat sur les modèles de ressourcerie et leur évolution.
Comment trouver le juste prix ?
Aux Fourmis, seuls les salariés sont autorisés à étiqueter les produits et donc à fixer les prix.
Les objets de valeur Pour les objets anciens ou de valeur, un bénévole, Philippe, a développé une expertise et est capable d'identifier des pièces « précieuses », souvent issues d'une période spécifique. Il est LA référence en cas de doute sur l’estimation d’un objet. Google Lens est également fréquemment utilisé pour évaluer la valeur des articles.
L'objectif aux Fourmis est de fixer des prix justes, de manière à rendre accessibles des biens de valeur à des personnes qui, en temps normal, n'auraient pas pu se les offrir, tout en dissuadant les brocanteurs de s'en emparer pour leur propre revente. Pour avoir déjà été bénévole dans un Emmaüs, à l'ouverture des portes, les brocanteurs se précipitaient pour acheter les objets les plus intéressants, vidant rapidement certains stands. Aux Fourmis, des stratégies ont été mises en place pour contrecarrer ce phénomène, par exemple les prix sont généralement fixés à 40 % du prix brocanteur : suffisamment élevés pour que les brocanteurs jugent la marge trop faible, mais encore abordables pour les clients plus modestes.
Dans certains cas, la valeur des objets n’a pas de prix. Quand les estimateurs de la ressourcerie jugent qu’un bien a une valeur historique ou patrimoniale, celui-ci est offert à des musées. Ainsi, en avril 2023, trois œuvres de l’artiste flérien Jean Peschard ont été remises au musée du château de Flers, témoignant de cette démarche.
Enjeux de matières... Les filières de recyclage ne se valent pas toutes en termes d'efficacité. Par exemple, le plastique se recycle bien moins bien que le verre. C'est pourquoi aux Fourmis, les articles en plastique sont vendus à très bas prix, afin d'encourager leur réutilisation et de prolonger au maximum leur cycle de vie.
Ce choix peut soulever des questions : ne serait-il pas préférable de privilégier des produits durables et de qualité, comme ceux en bois, en verre ou en céramique, qui résistent mieux au temps tout en étant plus respectueux de la santé ?
...et de spéculation. La question des matières premières est essentielle. Un objet qui pourrait sembler insignifiant prend toute son importance grâce à la valeur de sa matière. Par exemple, le cuivre doit être vendu à un prix minimum légèrement supérieur à sa valeur de refonte, afin d'éviter qu'il ne soit acheté uniquement pour être fondu et revendu à des fins lucratives. L’argent généré par ces matières est une source de revenu pour l'association, qui collabore avec des ferrailleurs pour récupérer la matière des objets invendables.
Équité entre salariés et bénévoles Certains salariés et bénévoles, en travaillant au tri et à l'étiquetage, ont un accès privilégié aux nouveaux arrivages. Pour maintenir une équité entre tous, aux Fourmis, un système d'étagères réservées a été mis en place. Si quelqu'un est intéressé par un article avant qu'il ne soit mis en rayon, il peut le placer sur une étagère dédiée. À la fin de la semaine, tous les produits sont étiquetés à l’aveugle, sans que personne ne sache qui a réservé quoi, afin d’éviter les "prix d’amis" et d’assurer des prix justes pour tous. Si le salarié ou bénévole souhaite acheter l’objet une fois le prix fixé, il peut le faire, sinon l’article est mis en rayon pour les autres clients.
Les dérives du système
Le concept des ressourceries repose sur une intention louable : réduire les déchets en favorisant le réemploi et le recyclage. Cependant, ce système peut parfois engendrer des dérives contraires à ses objectifs initiaux.
Réemploi de biens inutiles ou peu durables Même si juger de l’utilité d’un bien appartient à tout à chacun, il est vrai que les ressourceries regorgent de biens qui pour certains ne répondent pas à des besoins réels. De plus, certains biens comme ceux en plastique soulèvent des questions sur la pertinence de leur réemploi comme expliqué précédemment (cf : Enjeux de matières…)
Les coûts sous-estimés du réemploi et de la revalorisation En raison du caractère associatif de nombreuses ressourceries, une grande partie de la main-d'œuvre est bénévole, ce qui contribue à une perception erronée des coûts liés au réemploi. Une idée répandue est que, puisque les matières premières proviennent de dons, le prix des produits revalorisés devrait être faible. Cependant, cette vision ne prend pas en compte les dépenses nécessaires au tri, au démontage, au nettoyage et à la transformation des objets. Ce système tend à occulter le véritable coût du travail, masquant ainsi le prix réel des biens revalorisés.
Consommer plus parce que ce n’est pas cher L’accessibilité des prix dans les ressourceries peut inciter à une consommation excessive. En effet, certains acheteurs se laissent séduire par l’abondance et les faibles coûts, accumulant des objets qu’ils n’auraient pas nécessairement acquis autrement. Cela contribue à perpétuer un modèle de consommation qui perpétue et contribue à la surconsommation.
Ressourceries : débouchés à la surconsommation Une autre dérive réside dans la banalisation de l’acte d’achat sous prétexte qu’il pourra être suivi d’une « bonne action » à terme. Cette logique, encouragée par les circuits de seconde main comme Vinted, Le Bon Coin ou les ressourceries, favorise l’idée que consommer davantage n’est pas problématique puisqu’il est toujours possible de revendre ou de donner les objets plus tard.
Ainsi, la surconsommation se déplace simplement vers les marchés de seconde main, perpétuant une culture de l’abondance qui reste incompatible avec une véritable sobriété écologique.