10/10 - Un service civique itinérant comme expérience d'un revenu universel ?

10/10 - Un service civique itinérant comme expérience d'un revenu universel ?
Ateliers de la manufacture de l’archange Michel, Le Mesnil-Tôve , 50 : Ancienne filature hydraulique en voie de restauration
Ateliers de la Manufacture de l’archange Michel
Association loi 1901 d’intérêt général pour la valorisation des laines locales

Un service civique itinérant comme expérience d'un revenu universel ?

Me voilà à la fin de mon périple. 8 mois déjà sont passés sur les routes normandes et c'est dans une ancienne filature en voie de restauration que j'ai posé une dernière fois mon paquetage !
Les ateliers de la manufacture de l'Archange Michel associent la force hydraulique pour alimenter les machines et la valorisation de la laine locale, le tout n'attendant qu'à être remis en route. C'est avec émotion que l'on découvre ce patrimoine qui inspire et qui nous donne une image de ce que la production locale signifiait encore il y a moins d'un siècle.

Cette étape marque un point d'orgue à mon voyage low-tech tant ce projet s'intègre dans la démarche en questionnant le besoin et en répondant à ce dernier de manière contextualisée et robuste. Et si vous m'avez lu depuis le début de mon voyage, (merci !), vous connaissez maintenant toutes mes réflexions sur la démarche low-tech au service d'un territoire. =-)

Permettez-moi pourtant de vous en partager une dernière, qui à mon sens trouve de l'écho dans cette ancienne usine dédiée à une matière si noble qu’est la laine :

  • Ce service civique en itinérance m'a permis d'expérimenter une décorrélation entre mon outil productif, ou plus simplement mes actions au quotidien, et la source de revenu pour ma subsistance.

Je m'explique !

Comme tout contrat de service civique en France, le ou la volontaire reçoit une indemnisation d'environ 600 euros pour subvenir à une partie de ses besoins pendant la période d'engagement. Mais le service civique que j'ai eu la chance de réaliser était particulier et novateur sur plusieurs aspects, dont le principal était l'itinérance. Le fait de vivre dans des lieux toujours différents, portant des projets chargés de sens où l'on contribue en tant que volontaire rend floue la frontière entre l'engagement personnel et celui dicté par le contrat du service civique.

Parlons d’ailleurs de cette notion "d'engagement" si vous le voulez bien ! Féris Barkat donnait son avis à ce sujet au micro de France inter en mai 2025 : "J'ai un vrai problème avec le mot 'engagé'. Si être engagé, ça me différencie des autres, c'est que la position 'normale', c'est d'en avoir rien à foutre ?"

Clair, net, sans ambiguïté.

Cela questionne la notion de "neutralité" dans une société qui par définition ne peut pas être neutre au vu des implications politiques, économiques, sociales et environnementales en particulier de son modèle économique.

Oupsi !

Continuer à cultiver la neutralité, lorsque l'on connaît aujourd'hui ses implications, est une prise de position bien plus radicale selon moi que bons nombres d'engagements militants, non rémunérés, voulant contrer les effets néfastes en tous genres de notre système. N'en déplaise aux médias à la main de multi milliardaires à qui le système profite. Suivez mon regard ;-)

Cela pose donc la question suivante :

  • Comment rendre économiquement viable un projet qui est socialement et environnementalement bénéfique, allant à l'encontre des effets néfastes provoqués par le système qui dicte justement ce qui est ou pas viable économiquement ?

C'est le serpent qui se mord la queue, très bien décrit dans le Manifeste pour une santé commune de l'institut de recherche Michel Serre. (livre que je vous conseille chaudement)
Pour ces projets, principalement membres de l'économie sociale et solidaire, il faut donc danser à la frontière entre le système actuel et un nouveau qui viendrait sur certains points le supplanter dans un futur proche.

Les milles et unes formes de contributions lors de mon voyage m'ont donné l'impression non pas de "m'engager" pour la transition, mais de vivre tout simplement de manière différente, de marcher sur cette frontière entre ces deux mondes qui me semblait au fur et à mesure que les mois passaient de plus en plus poreuse.

La porosité la plus marquante était justement la décorrélation entre "outil productif et source de revenu". En effet, je recevais une indemnisation de service civique, dispositif d'état du système actuel, me permettant de vivre 8 mois en contribuant pour des projets qui appartiennent déjà et appartiendront demain à un système en devenir prônant un "faire autrement, ensemble".

Je ne recevais pas d'argent des personnes pour qui je "travaillais" chaque jour. Je recevais de l'argent de plus loin, comme si on reconnaissait que mes actions ici profitaient au grand collectif que nous formons toutes et tous.  Cette décorrélation a remis au centre des échanges et partages que j'ai vécus non pas la valeur monétaire de mes actions mais bien leur sens, leur utilité, et leur dimension foncièrement humaine et politique.

Le livre Refuser de Parvenir du CIRA de Lausanne propose une critique des privilèges et des manières ou non de s’en servir pour le bien commun.
Le « titre » d’ingénieur est un des nombreux privilèges dont j’ai hérité de mes études, et cette expérience de 8 mois que j'ai ressenti comme un revenu universel lui a ouvert une nouvelle porte d'utilité pour la société :

  • Utiliser les privilèges que ce titre apporte pour le pirater, le tordre, le porter là où le système classique ne l'y attendait pas. Grâce à un revenu décorrélé de "l’outil productif", dont la source pourrait être de pleins de natures différentes, on devient alors en capacité d'arbitrer la portée de nos actions et de nos décisions uniquement selon des critères sociaux et environnementaux.
    Je pense que la reconnaissance parfois largement abusive du « titre d’ingénieur » peut permettre cette pirouette pour mettre des personnes à disposition d’un système en construction, bien loin des multinationales
  • Au cours de mon service civique, j'ai pu me rendre utile avec bien d'autres casquettes que celle d'ingénieur, mais cette dernière reste indéniablement celle qui m'a offert avec regret le plus de considération au près des personnes de pouvoir. L'égalité des chances avec l’existence d’un tel titre est une mascarade, mais libre à chacun.e de l'utiliser ou non de manière créative et révolutionnaire pour un monde VRAIMENT différent.

C'était la dernière conclusion,
Merci de m'avoir suivi jusqu’ici !

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