Une famille dans un village de yourtes

Salut ! Je suis Martin et j’ai la chance de réaliser un service civique avec Les Chemins de la Transition et la Coopérative Oasis sur le chemin des écolieux à vélo. Je termine mes études d’ingénierie au cours desquelles j’ai pu découvrir et explorer le mouvement low-tech qui m’inspire beaucoup, notamment autour des questions d’autonomie et d’organisations sociales.
Après ma première étape à l’écovillage de Pourgues, une journée de vélo m’a suffi pour rejoindre Ecolectif, un autre écolieu de la région où j’ai passé les 3 semaines qui ont suivi. Ce lieu m’avait attiré pour les questions d’autonomie alimentaire, de low-tech et je n’ai pas été déçu.
Sur le terrain boisé et vallonné acquis il y a 12 ans, une petite dizaine de yourtes installées autour des bâtiments collectifs accueillent une vingtaine de personnes, dont quasiment une moitié d’enfants. L’activité de maraîchage, les différents vergers, l’élevage de chèvres et d’abeilles ainsi que la production d’aliments transformés (tartinables, conserves, lacto-fermentation…) permettent aux membres du collectif de consommer une grande diversité de nourriture faite sur place. De plus, j’ai trouvé intéressants leurs questionnements par rapport à leur consommation avec la récupération d’objets et matériaux en déchetterie, l’utilisation de nombreux fours solaires paraboliques, le mode de vie en yourte, la construction terre-paille…
Assez tôt dans mon séjour, j’ai sympathisé avec Joachim et Nydia qui habitent le lieu depuis sa création. Leur yourte abrite aussi leur fille Alou, 11 ans, qui est littéralement née ici. Nydia fait de la construction terre-paille, s’intéresse aux plantes médicinales, accompagne des femmes enceintes avec le yoga. Joachim, lui, cultive de nombreuses variétés de kakis, s’occupe de ses deux chèvres, bricole toutes sortes d’objets avec du matériel de récupération. Et Alou, elle, monte à cheval, construit des jouets en bois, dessine des chevaux, fait de la couture. J’ai beaucoup été inspiré à leurs côtés et j’ai souhaité recueillir leurs mots pour rédiger l’article qui suit.

Le choix de vie en collectif
Pour commencer, je les ai questionnés sur leur intérêt à vivre en collectif.
Alou : Comme je suis fille unique, je m’ennuie beaucoup moins.
Nydia : C’est plus simple financièrement, je ne sais pas si j’aurais pu acheter la terre toute seule. Vivre en collectif ça permet de faire plein de choses, d’expérimenter ensemble et de partager des infrastructures matérielles (atelier, outils…). Et puis d’avoir du soutien, parfois juste la présence d’autres gens fait du bien.
Joachim : Le collectif donne la possibilité de vivre avec moins de voitures. Je cultive sans pétrole et cette pratique est facilitée quand il y a d’autres gens autour qui font de même. Tu te sens moins extraterrestre.

En poursuivant la discussion avec Joachim, il m’explique la philosophie dans laquelle s’intègre le choix de partager un terrain avec d’autres familles.
Joachim : Ce n’est pas juste par plaisir de s’auto-organiser, de se regrouper, on le fait par nécessité. Je prépare un potentiel avenir qui soit un peu plus difficile, un peu moins confortable, un peu moins assisté par le pétrole, l’argent et la mondialisation. Qu’est ce qui amène à la consommation, à la surconsommation, au confort et au confort à tout prix ? C’est parce qu’on est pas bien, on est déséquilibrés. Et je pense que le mode petit groupe, tribu, il participe à retrouver un équilibre que la plupart des peuples ont eu pendant assez longtemps.
Mais en acceptant que la vie c’est vachement dur en fait. Quand on voit les animaux on dirait que c’est facile, mais je ne pense pas qu’ils ont la vie facile. Les chevreuils flippent à chaque coin de rue. Quand ils dorment, ils ont peur de se faire réveiller par un chien ou par un chasseur. Je pense qu’il faut accepter que la vie ça ne va pas être une bulle de confort avec un joystick. On veut abattre les inégalités en se mettant tous au niveau des pires au lieu d’abattre les inégalités en se mettant tous au niveau de ceux qui sont respectueux et qui vivent avec un certain équilibre, une certaine logique par rapport aux ressources.

La place des enfants
À Écolectif, le questionnement autour de l’enfance et de l’éducation est central. Une dizaine d’enfants y vivent (il y a déjà eu jusqu’à une vingtaine d’enfants par le passé) et la plupart font “école à la maison”, comme Alou. C’était passionnant d’échanger avec la famille là-dessus.
Nydia : C’est grâce aux enfants que ce truc existe. En fait, pour nous, ça a vraiment beaucoup de sens de donner ce cadre avec plusieurs adultes, avec plusieurs enfants pour qu’ils puissent grandir dans un cadre dans lequel on va pas leur dire « faut pas faire ça » ou « fais ceci » ou « obéis moi ».
Je ne m’estime pas être une maman parfaite donc je tiens à lui offrir un cadre avec d’autres adultes et d’autres enfants qui puissent aussi l’accompagner pour qu’elle puisse avoir d’autres référents et expérimenter plein de choses que moi, toute seule, je ne pourrais pas lui apporter. C’est ce qui est génial ici. Pouvoir faire l’instruction en famille, en famille élargie, c’est beaucoup plus sympa que tout seul. Par exemple, j’adore voir depuis quelques jours Alou, Mainoa et Louvé prendre des initiatives tous les trois, cette petite bande avec ces grands chevaux. C’est génial.

Avec l’instruction en famille, les enfants ont beaucoup de liberté dans l’organisation de leur temps et le choix de leurs activités. Ils ont tout de même une inspection au moins une fois par an pour vérifier qu’ils suivent le programme de l’éducation nationale. Dernièrement, les lois sur l’école à la maison se sont durcies en France ce qui rend cette manière d’éduquer de plus en plus compliquée. Ces restrictions ont questionné plusieurs parents d’Ecolectif, qui ont envisagé d’aller vivre dans un pays où cela reste possible.
Joachim : Depuis qu’elle est née, on se prépare à fuir le pays pour son enfance.
Nydia : On a envisagé d’aller habiter une partie de l’année en Espagne. Pour le moment, on peut encore faire l’instruction en famille. Je ne sais pas si cela pourra continuer jusqu’aux 16 ans d’Alou. Après, si jamais Alou me dit qu’elle veut aller à l’école, je ne vais pas lui dire « non non » par principe.
En discutant de l’instruction en famille, Joachim m’apprend que c’est aussi quelque chose qu’il a vécu jusqu’à ce qu’il s’essaye au lycée.
Joachim : J’ai été un jour en maternelle et j’ai voulu tester au lycée donc j’ai fait la seconde. Je n’avais pas l’habitude vu que j’avais toujours fait ce que je voulais de mes journées. C’était intéressant, heureusement que je l’ai fait parce que sinon peut-être que j’aurais eu beaucoup moins confiance en moi dans ma capacité à intégrer la société.
À 14 ans, j’étais terrifié à l’idée d’aller dans un cours de solfège. Dans ce milieu t’as aucun code, t’es dans une salle avec une prof, des enfants de tout âge que tu ne connais pas. J’étais en retrait de la société et je ne me sentais pas d’être dans un cadre formel.
Pour Alou, ça me paraît différent. Je pense qu’elle le fera forcément à un moment mais je pense pas que ce sera par besoin de se rassurer qu’elle est capable. J’ai pas l’impression qu’elle se sente tellement en retrait du monde, qu’il y a une séparation. J’ai l’impression qu’il y a une continuité.

Les interactions avec l’extérieur
Comme Joachim le décrivait pour Alou, je n’ai pas eu l’impression que le collectif soit en retrait de la société. Les habitantes et habitants ont par exemple des activités à l’extérieur.
Nydia : Je fais parti d’un collectif d’artisans et d’artistes qui s’appellent Graff’ Terre. On fait des enduits, des fresques urbaines pour des mairies.
Je sais que dans le collectif Graff’ Terre j’apporte toute la culture que j’ai ici dans la manière d’interagir avec les humains, notamment sur les prises de décisions, pour savoir faire différemment de comment on pense d’habitude.
D’autre part, Ecolectif est en lien une ferme du coin nommée Can Lahaut, où trois copines d’Alou habitent.
Alou : Les mercredis matins j’ai cheval avec elles. Sinon, on se voit au marché. Il y a aussi la « tribu des bois », un groupe avec des enfants de Ecolectif et mes copines de Can Lahaut, pendant lequel on passe deux jours dans la forêt, en campant. Cela fait 2 ans qu’on y va toutes les semaines, sauf pendant l’hiver, où on fait une pause. Aussi, je vais souvent à la bibliothèque. J’y vais toute seule mais souvent il y a d’autres enfants que je vois là bas.
Des personnes de passage venant de plus ou moins loin permettent une stimulation sociale importante sur place. Joachim apprécie ces rencontres mais il se concentre sur les relations plus rapprochées géographiquement.
Joachim : Toutes les relations qui sont à plus d’une distance accessible en vélo, je me mets dans la tête que ça peut s’arrêter à tout moment. Ce n’est pas sur elles que je veux compter. S’il y a une relation nourrissante au quotidien c’est avec ma fille. Je n’aurais pas envie de passer moins de temps avec elle.

Explorer le champ des possibles
Pour finir, je souhaitais leur demander ce qui leur plaisait le plus ici.
Joachim : J’aime voir le cadre de vie qu’on offre à notre fille. Tout à l’heure, on était au jardin et on voit passer 3 enfants avec 3 chevaux. Aussi, c’est de voir que malgré mes problèmes physiques et psychologiques j’ai réussi à ne pas lâcher et à mettre en place tous ces arbres fruitiers et cet écosystème.
Alou : Des fois, avec Louvé, on explore les forêts et la rivière et je pense c’est une activité que je ne fais pas assez souvent. On fait des cabanes, des tipis et des gros tunnels dans les ronces, on voit des animaux, on s’amuse.
Plusieurs femmes viennent dans l’écolieu pour des séances de yoga animées par Nydia.
Nydia : Lorsque je donne des cours de yoga, je me sens bien. Quand je suis en train d’animer des ateliers et qu’il y a des gens qui découvrent et qui apprennent, c’est trop bien. Le yoga c’est encore plus fort parce que j’ai l’impression que l’effet est tellement direct. Quand je suis au service pour le bien-être, je me sens à ma place. Ces dernières années, j’ai accompagné des femmes enceintes avec le yoga. C’est vraiment un truc pour lequel je veux œuvrer. À quel endroit puis-je apporter un vrai changement dans le monde ? Je me suis posée cette question et je me suis dit : au tout début, au moment où il y a un enfant qui est dans le ventre de sa mère.

Ce collectif n’a pas forcément été un énorme coup de cœur pour Nydia, qui m’avoue y être venue un peu à reculons au départ. Maintenant, elle voit surtout l’ensemble des choses qui y sont rendues possibles.
Nydia : Même si souvent je me dis « Comment ça se fait que je sois en collectif ? », des fois c’est pas facile d’habiter avec d’autres gens, des fois on peut avoir aussi tous les mauvais côtés de vivre avec des gens. Mais jusque-là j’ai plus eu de côtés positifs qui ont fait que j’ai décidé de rester, ça fait 12 ans que j’habite ici.

Une particularité d’Écolectif qui a retenu mon attention est le fait que la vie en collectif était principalement constituée d’un chantier participatif un samedi sur deux et d’un cercle décisionnel par semaine. Je m’attendais à voir beaucoup plus d’activités de groupe et j’ai été surpris de réaliser des tâches pour des personnes précises (plutôt que pour le collectif) ou de voir les habitantes et habitants s’inviter dans leurs espaces personnels. D’un autre côté, cela a laissé place à des repas collectifs spontanés très agréables et m’a permis de passer du temps à converser avec quelques personnes individuellement avec qui j’ai créé des liens forts.